APPEL A ARTICLES N.18

Ce que font les discriminations aux émotions

Sous la direction de :

Stéphane Héas (MCF HDR, sociologue, Université de Rennes 2, Laboratoire VIPS2)

Omar Zanna (PU, docteur en sociologie et  psychologie,  Université du Mans, Laboratoire CREN)

Les analyses des discriminations rappellent que dans les pays disposant d’un cadre légal de lutte, au moins quelques  éléments sont repérés. Désormais pénalisables, elles demeurent dissimulées dans certaines situations et professions (Body-Gendrot, Wihtol de Wenden, 2003). C’est le cas dans les sports et les activités physiques (Liotard, 2017 ; Héas, 2010) comme dans d’autres secteurs tels la police, la justice, l’école (Dowler, Zawilski, 2007 ; Brinbaum, Chauvel, Tenret, 2013 ; Felouzis, Fouquet-Chauprade, Charmillot, 2015). Les auteurs poursuivis juridiquement forment une portion congrue (tel un « chiffre noir ») de l’ensemble des situations puisque les plaintes exprimées et déposées sont et persistent très en deçà des réalités vécues. Nombre de personnes se retrouvent en effet confrontées au quotidien à des situations d’assignation, de stigmatisation, parfois ostentatoires, de racisme – parfois sous forme de micro-agression -, d’interpellations, de remarques … au seul motif de leurs différences réelles ou supposées. Situations paradoxales dans des sociétés qui appellent de leurs vœux l’inclusion,  c’est-à-dire faire de la différence la norme (Dubet et al., 2013).

Si la lutte contre les discriminations est désormais bien documentée et légiférée, il semble que la France n’ait pas encore totalement pris la mesure du phénomène (Talpin et al., 2021) et de ses répercussions corrosives (Sennett, 1998) sur ceux et celles qui vivent les effets de « la société du mépris » (Honneth, 2006). En effet, bien qu’officiellement et légalement pourchassées, réprouvées, dénoncées, condamnées… les discriminations lorsqu’elles suscitent et mettent en scène des émotions partagées (ou pas) sont susceptibles de perdre en légitimité en ce sens où l’on peut y voir une revendication irrationnelle. Autrement dit, lorsqu’une discrimination s’accompagne de trop d’émois, elle court toujours le risque de se voir discréditée : pas assez rationnelle, dépolitisée, trop sensationnelle : Finalement, les émotions générées par les discriminations ne joueraient-elles pas contre les inégalités ?

Par ailleurs, si les chercheurs/ses en sciences sociales notamment creusent le sillon de la recherche en matière de discrimination depuis plus de deux décennies en proposant des grilles de lecture pour comprendre ce processus en œuvre (Dubet, 2022), moins nombreux sont ceux qui se saisissent de la loupe de la vie affective pour observer finement les vies des individus afin de rendre compte de la manière dont ces personnes victimes de discriminations, uniques ou répétées, les vivent émotionnellement (Zanna, 2010). Il conviendra donc d’interroger ce que les traces, parfois profondes, laissées par les émotions de la discrimination font aux personnes et comment, in fine, elles façonnent leurs parcours de vie.

Ces émotions ressenties, exprimées et partagées par les personnes concernées (mais aussi leurs proches ou les témoins) sont précieuses pour comprendre ce que font les discriminations aux émotions et par ricochet au social. Et c’est particulièrement la manière dont les individus vivent émotionnellement ces mises à l’index et la façon avec laquelle ces émotions sont sémantisées, métabolisées, qui retient ici notre attention.

Quatre axes de réponses sont proposés pour affiner le regard :

  1. D’une part, une attention apportée à ces émotions qui peuvent être ambivalentes, voire contradictoires après l’évènement discriminatoire : colère, abattement, tristesse, dépression, surplus de motivation, voire fierté !
  2. Deuxièmement, une focale sur les espaces d’expression des émotions, avec des mises en récits dans des romans, sur les réseaux sociaux, dans les lieux associatifs, voire les groupes de pair·e·s.
  3. Troisièmement, l’analyse des expressions et traductions artistiques de ces émotions des discriminations.
  4. Un regard sur le milieu scolaire sera apprécié : le harcèlement dans et par le milieu scolaire est souvent vécu comme une forme de discrimination par les élèves notamment, comment ces atteintes émotionnelles répétées se traduisent-elles au long cours sur à l’estime de soi et les relations sociales ?

Bibliographie

Belorgey, J.M. (2006). « Discrimination ordinaire/discrimination positive : Quelle place pour la différence ? », Vie sociale, vol. 3, n° 3, 31-37.

Body-Gendrot S., Wihtol de Wenden C., (2003).Police et discriminations raciales, le tabou français, Paris, Les éditions de l’Atelier/ Les éditions ouvrières.

Brinbaum, Y., Chauvel, S. & Tenret, É. (2013). « Quelles expériences de la discrimination à l’école ? Entre dénonciation du racisme et discours méritocratique », Migrations Société, 147-148, 97-110. https://doi.org/10.3917/migra.147.0097

Dowler K., Zawilski V., (2007). Public perceptions of police misconduct and discrimination: Examining the impact of media consumption”, Journal of Criminal Justice, 35,193-203.

Dubet, F., Cousin, O., Macé, E., Rui, S., (2013) Pourquoi moi ? L’expérience des discriminations, Paris, Le Seuil.

Dubet, F. (2022), Tous inégaux, tous singuliers, Paris, Le Seuil.

Felouzis, G., Fouquet-Chauprade B., Charmillot, S. (2015). « Les descendants d’immigrés à l’école en France : entre discontinuité culturelle et discrimination systémique », Revue française de pédagogie [En ligne], 191 | avril-mai-juin 2015, mis en ligne le 30 juin 2018, consulté le 28 avril 2022.

Héas, S. (2010). Les discriminations dans les sports. Nancy, PUN.

Honneth A., (2006). La société du mépris, Paris, La Découverte

Liotard, Ph. (2017). « Introduction : exposition aux discriminations ordinaires dans les sports », Les Cahiers de la LCD, 2/4,13-24.

Sennett, R (1998). The Corrosion of Character, The Personal Consequences of Work in the New Capitalism, NY, W.W. Norton & Company.

Talpin J., Balazard H., Carrel M., Hadj Belgacem S., Kaya S., Purenne A., Roux G., (2021), L’épreuve de la discrimination, Paris, PUF.

Zanna O., (2010), « Un sociologue en prison », Nouvelle Revue de psychosociologie, Vol. 1, n°9, 149-162.

Calendrier de soumission

Les propositions de résumé devront parvenir au plus tard le 30 SEPTEMBRE 2022. Il sera demandé :

1- Un résumé d’une page comprenant titre, mots clés, propos de l’auteur-e et plan

envisagé pour l’article.

2- Une courte bi(bli)ographie de l’auteur-e

Les résumés seront à adresser simultanément aux deux adresses suivantes :        cahiers.lcd@gmail.com

stephane.heas@univ-rennes2.fr

omar.zanna@univ-lemans.fr

Un retour sera fait aux auteur-e-s en Octobre 2022

Calendrier de publication

Les premières versions des articles retenus seront attendues pour début février 2023.

Après retour, la version finale est attendue en  juin 2023.

Le dossier prendra place dans le n° 18 des Cahiers de la LCD, à paraître en décembre 2023.

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